Chronologie des droits de la femme au Maroc
Chronologie des droits de la femme au Maroc
Par Yassine ELALAMI (Le 21 Décembre 2020)
Dans le monde entier, le 8 mars est dédiée pour célébrer la journée internationale de la femme. Cette occasion mène un bilan annuel qui nous permet de revenir sur le progrès accompli en matière de revendications de l’égalité Femmes-Hommes.
Si l’histoire avance par soubresauts, l’évolution du statut de la femme au sein de la société marocaine a connu un rythme lent, voire fœtal.
Vouloir réaliser une frise chronologique passe par décrire l’évolution de la situation féminine au Maroc, cette frise sera divisée en trois époques successives : celle de la précoloniale, coloniale, et après l’indépendance.
A l’époque précoloniale
La gloire féminine face à la culture archaïque
En jetant un œil sur le produit culturel de l’époque précoloniale, nous avons l’impression que la situation de la femme n’était pas vraiment admirable, et les proverbes utilisés à cette ère le démontrent clairement. Des expressions misogynes comme celle de « femme, sauf, votre respect» (mra 7achak) Nous constatons que même le terme de la femme en lui- même était considéré irrespectueux, et d’autres proverbes qui exigent que la femme au foyer soit aussi endurante qu’une ânesse.
Mais avec toute contradiction et malgré la vision dégradante, la situation de la femme marocaine sur le terrain n’était pas si horrible qu’elle apparait, avec des noms comme : Fatima Fihriya, Zainab Nafzaouia, Sayyida Al Hurra, etc. qui ont marqué l’histoire du Maroc en prouvant que les femmes à cette époque ont été influentes et puissantes telles que les hommes et beaucoup plus parfois.
Dans un Maghreb qui était en majorité rural, les femmes participaient vivement aux travaux agricoles, et elles n’ont jamais été empêchées de travailler, ce qui est témoigné dès la période romaine.
Ibn ‘Ardoun, savant, et faqih, né en 947 hijri, au Nord du Maroc à Chefchaouen défendait la femme d’une manière assidue par ses avis consultatifs (fatwa) en tant qu’Imam, Jugeait qu’« [à] la campagne […] l’insolence est inouïe, car les femmes sortent sans voile et vont travailler à la forêt, aux pâturages, dans les champs, à côté des bergers et des Khemmes»
(Houbbaïda1995 : 120)
Certaines régions ont connu même une tradition qui permet à la femme de jouer le rôle du chef de la famille, de juge et de leaders traditionnels, notamment dans les régions ou les tribus dont les activités exigeaient de longues périodes d’absence des hommes, notamment le nomadisme ou le commerce transsaharien, fleuron de l’économie marocaine précoloniale.
A l’époque coloniale
Quand les femmes portaient le costume des militants
La colonisation française était une réalité amère partagée par tous les Marocains, mais en naviguant sur les feuilles parlant de l’histoire des femmes à l’époque du protectorat, nous trouvons que dans la quasi-totalité, les discours menés à propos d’elles se sont rédigés d’une façon prude.
Des discours transmis grâce à des historiens régis par un système patriarcal couvrant la femme sous le nom de wlya, un concept médiéval qui réfère à des coutumes traditionnelles désuètes ; instrumentalisées par les Faqihs pour emprisonner les femmes dans les foyers et dérober leur droit, des pratiques qui ont rendu les femmes comme un être négligé et jeté à la marge.
En effet, malgré l’engagement crucial des femmes dans les mouvements révolutionnaires et les efforts déployés de leur part, nous trouvons que les empreintes des femmes sur le chemin vers l’indépendance ont été omises. Aujourd’hui, seuls les hommes se considèrent comme acteurs des changements sociaux et du développement historique.
Pour cela nous allons citer quelques événements réalisés par les femmes en défense de la patrie après la signature du Traité de Protection le 30 mars 1912, l’année de la grande agonie, où le Maroc avait perdu son indépendance.
Les documents et les rapports préparés par le colonisateur, nous racontent sans le vouloir, des formes glorieuses de la résistance menée par les femmes marocaines.
La parfaite illustration pour ce qui précède sont les deux témoignages suivants :
« C’est 14h30 l’après-midi, les huées s’élèvent partout et les coups de feu jaillissent de tous côtés, les épiceries commencent promptement à fermer leurs portes, et un signe de frénésie plus dangereux que ce qui précède, c’est les youyous aigus et constants des femmes mélangés aux explosions.
Que symbolisent ces youyous chez la femme marocaine ?
Avant on avait l’habitude d’entendre ce son dans les cérémonies et les fêtes, mais est-ce qu’il était réservé exclusivement aux moments de la joie et du bonheur ? Est-ce que ces cris-là étaient présents au moment d’une nouvelle naissance ou un mariage ou à n’importe quelle autre occasion ? Non ce sont pour nous des cris maudits qui entraînent la mort. Oui aujourd’hui ces cris se transforment de bon augure en mauvais présage.) »
(Mohamed Khalil Boukhriss, « la femme marocaine confirme sa présence dans la lutte armée politique » dans le cadre du magazine « collaboration nationale ».)
C’était un témoignage exprimé par un correspondant militaire français pour le journal parisien Le Matin, prouvant tout ce que la femme marocaine faisait en faveur des combattants pour les encourager que ce soit par les youyous qui déstabilisaient la psychologie des colonisateurs, ou par les lapidations, en plus de l’eau bouillante, au sein de la révolution populaire de Fès pendant ses jours sanglants.
« Pendant que la patrouille de police militaire était hier en train de désarmer les habitants du village, une tragédie s’est produite, l’officier (José Valdivia) en était la victime, une femme lui a tiré dessus, on dit qu’elle était la sœur du commandant des révolutionnaires (Ahmida Elkherraz), décidé pendant une bataille en 1922 entre nos forces armées et les hommes de (El Cherif Reissouni), cette femme est arrivée à s’enfuir et se réfugier dans le sanctuaire » Moulay Abdeslam Ben Mchich » alors qu’on a échoué à l’arrêter. »
(Mohamed ben Azouz Hakim, » le rôle de la femme marocaine à la résistance dans le Nord », au sein d’un colloque scientifique, le rôle de la femme marocaine pendant l’épopée de l’union et de l’indépendance).
Tout ce qui est déjà cité dans les témoignages précédents, représente la réalité de la femme marocaine, qui a pu défendre sa patrie de toutes ses forces au milieu des batailles, et ses attitudes pendant la colonisation.
Après l’indépendance 1958 jusqu’à 1993 (les années Zéro)
Lorsque le fait d’être une femme a été considéré comme un crime.
Orienté vers la marocanisation de la procédure judiciaire, le Maroc a publié la première version du droit familial, composée globalement des articles inspirés des rites malikites.
Malheureusement, ce droit familial dans ses différentes dispositions a provoqué une relation sévèrement inégale entre les deux époux.
Puisque tous les chapitres contiennent des propos qui favorisent clairement l’homme, considéré comme étant chef de la famille, la femme lui doit une obéissance totale en échange de l’entretien (Nàfaqa), et contrairement à nos jours la polygamie n’était conditionnée que par le devoir de l’équité entre les épouses.
La ségrégation n’arrête pas à ce stade là, mais même au niveau de la dissolution des liens conjugaux, l’homme en a la prérogative par le truchement du divorce unilatéral, tandis que la femme n’a droit au divorce judiciaire qu’avec la condition de prouver au moins cinq préjudices portés à l’égard de son époux dont il est presque impossible d’être confirmés. La seule solution restante pour l’épouse est d’avoir recours à la séparation moyenne compensation (khol’), mais malheureusement ce règlement donne lieu à des chantages matériels de la part de l’époux, ce qui pousse dans la plupart des fois la femme à renoncer à tous ces droits, dont la garde des enfants (Hadâna)
La répression imposée à la femme à l’époque ne se termine pas là, car même si la garde des enfants lui est accordée, en cas de remariage, ou de résidence éloignée de celle du père, al Hadâna peut être retiré.
Cette procédure judiciaire a contribué largement à l’instabilité des liens familiaux et à engendrer des situations de violences institutionnalisées à l’égard des femmes et des enfants, dont l’histoire a témoigné plusieurs cas ou des femmes ont essayé de recourir à la police pour porter plainte contre la violence qu’elles subissaient, mais les policiers les confrontaient, en réitérant une seule phrase : « c’est entre vous, c’est ton époux ».
Le militantisme pour la réforme de ce droit familial était mené dès sa publication dans les années cinquante, mais il est resté inaudible, car il ne bénéficiait pas du soutien des partis politiques.
Vers la fin des années quatre-vingt, les associations féminines et des droits des femmes ainsi que la composante féminine des partis politiques de gauche ont relancé la lutte menée pour la réforme du droit familial et l’émancipation des femmes marocaines.
Le début des années 1990 a connu une mobilisation inédite sur la question des droits de la femme au Maroc, à commencer par les années 1991 et 1992 durant lesquelles l’organisation de l’Union de l’Action Féminine a lancé une campagne nationale pour collecter un million de signature en faveur d’une réforme du droit familial en faveur des femmes, cette campagne a été coordonné par le « Comité national de coordination pour le changement du droit familial et pour la défense des droits des femmes » dirigé à l’époque par Mme Latifa JBABDI et ses consœurs qui ont animé plusieurs rencontres, débats et campagnes dans les villes en faveur de cette réforme.
Des réactions virulentes ont été partagées de la part des mouvements islamiques face aux revendications féminines inspiraient principalement du référentiel universel et des droits humains inscrits dans les conventions internationales.
Le débat autour des deux référentiels opposés a été déclenché
Etant considéré en tant que le commandant des croyants, le Roi Hassan II a nommé en 1993 une commission chargée de préparer une réforme qui tiendrait en compte les valeurs traditionnelles islamiques du royaume et les revendications des associations féminines inspirées des référentiels universels, ce qui a résulté la réforme du 10 septembre 1993. Mais cette nouvelle Moudawana n’a ramené avec elle que quelques reformulations très loin de répondre aux attentes des associations féminines. La tutelle matrimoniale est devenue facultative pour la fille majeure orpheline de père, la polygamie est limitée en la plaçant sous contrôle judiciaire, des modifications sur la procédure pour limiter les abus mais restant inapplicable car la prérogative masculine au sein du couple était gardée.
Cette réforme a eu pour le seul mérite de désacraliser le droit familial qui était à l’époque souvent confondue avec le Coran, une chose figée, intouchable, et inchangeable.
Mars 1999 un pas vers l’avenir
L’intégration de la femme au développement a toujours fait partie des préoccupations des pouvoirs publics au Maroc, après plusieurs années ou les femmes ont souffert de la marginalisation, l’approche sociale et humanitaire de la question féminine n’a donné des résultats concrètes qu’à partir de l’année 1998 et l’arrivé du gouvernement d’alternance qui va promouvoir une nouvelle dynamique à cette question stratégique.
Mohamed El Yousfi, le premier ministre du gouvernement d’alternance de Gauche avait annoncé en mars 1999 les grandes lignes du projet de plan d’action pour l’intégration de la femme au développement (PANIFD), un projet novateur pour l’habilitation de la femme marocaine, conçu en étroite collaboration avec le Secrétariat d’Etat chargé de l’Assistance Sociale, de la Famille et de l’Enfance, et les représentants des associations féminines et des organisations des droits de l’homme.
Les reformulations juridiques proposées par ce plan d’action portaient surtout sur les points suivants :
– Conditionnement du mariage par la majorité (18 ans) pour les deux sexes ;
– Suppression de la condition de l’accord du tuteur pour la fille majeure ;
– Soumettre le divorce au contrôle judiciaire ;
– Conditionnement de la polygamie par l’accord préalable et explicite de la 1ère épouse ;
– Fin de l’exclusivité de la tutelle paternelle sur les enfants mineurs et inclusion dans femmes
dans la représentation des intérêts de leurs enfants ;
– Lors du divorce, intégration de la répartition égale entre les deux époux des biens acquis
durant le mariage ;
– Mise en place d’une juridiction spéciale pour le droit de famille.
Mais comme d’habitude cela a suscité une réaction virulente de la part des mouvances islamiques à cause du référentiel dont s’inspirent les dispositions du projet.
Tellement l’enjeu politique était grand le débat autour de cette réforme a mobilisé toutes les forces de la nation et toutes les couches de la société, car il s’agissait de choisir entre deux référentiels opposés, les valeurs islamiques fondamentaux, et les valeurs universelles des droits de l’homme.
Deux grandes marches ont été menées le 12 mars 2000, une à Rabat défendant le plan d’action et l’autre à Casablanca contre ce dernier, la pression forte de la rue a poussé le roi Mohamed VI à nommer une commission composée des représentants des deux courants pour s’orienter vers une réforme satisfaisante pour les deux.
L’accord convenu entre les composants de la commission a été concrétisé par le vote unanime du projet par les deux chambres du parlement le 16 janvier 2003 et la publication au journal officiel a eu lieu le 4 février 2004.
La nouvelle Moudawana a essayée d’élaborer une lecture moderniste des préceptes coraniques adaptés à la réalité de la société marocaine en conformité avec les valeurs d’égalité des sexes inscrits dans les conventions internationales signées par le Maroc.
Mais aujourd’hui cette réforme qui date de presque 18ans est-elle toujours suffisante ?