Tribune Libre

Covid19: « Vivement, le jour où la situation reviendrait à la normale … »

 

par Mustapha LABRAIMI

Devant un ordinateur, la mère ne savait plus comment expliquer à son fils la signification de la pente en un point de la courbe que donnait l’enseignant dans son exemple. Les mots qui sortaient de la bouche du Monsieur, qui un temps leur parlait et en un autre écrivait sur un tableau, lui étaient incompréhensibles à part les termes « nombre de personnes contaminées », « nombre de jours »…
La mère croyait que son fils ainsi que le Monsieur se moquaient de sa situation. Car, pour elle, comment une leçon de mathématiques pourrait répondre à des interrogations majeures de toute une nation. Estimer l’évolution de la propagation du coronavirus et prévoir le jour où la situation reviendrait à la normale ou presque ?
Des dérivées, la mère ne connaissait que celles du père. Elle s’occupait du ménage, préparait ce qu’il y avait à manger, souffrait des conditions dont se faisaient ses déplacements d’un point à l’autre et accomplissait son travail au mieux qu’elle peut faire. Confinement oblige, vint le téléenseignement et elle devait « garantir la continuité pédagogique et l’apprentissage scolaire » pour ses quatre enfants dont le niveau d’éducation allait du primaire à la première année du lycée.
Le père lui lisait, sur une tablette, son journal où l’on s’interrogeait sur le probable aplatissement de la courbe gaussienne issue d’un modèle basé sur des équations différentielles et des ajustements à des degrés différents. Il se mettait à sourire chaque fois qu’il se rappelait l’interpellation du ministre de l’éducation nationale à propos du récit de « Condrillon ». S’il ne cherche pas à comprendre quelque chose aux mathématiques, Monsieur le père était intéressé par ces éléments de langage qui suggéraient la réalisation d’une hypothèse. Cela pourrait le servir dans l’avenir après « le jour où la situation reviendrait à la normale ou presque ».
Il était respectueux de la division du travail établie de commun accord avec Madame son épouse. Tout ce qui concernait l’intérieur du foyer relevait de sa compétence. Entre hommes, ce n’est pas pour rien qu’on attribuait à sa femme le pseudonyme de « ministère de l’intérieur ». Elle s’occupait de tout et essayait même de savoir ce qui se tramait dans ses interminables rencontres au café du coin… Quand l’enseignement à distance s’est imposé, c’est Madame qui devait assurer le rôle de surveillant général et d’encadrant interactif des cours diffusés.
Quand ses yeux se trouvent fatigués, Monsieur le père abandonnait sa lecture sur la tablette offerte par un frère MRE. Tout revenait alors dans sa tête sur ses hypothèses concernant « le jour où la situation reviendrait à la normale ou presque. ».
Tout ce qui était véhiculé par le web et les réseaux sociaux à travers des vidéos personnalisées lui revenait mélangé au fond de son cerveau. Il faut le dire, la chaîne de télévision qui émettait dans la salle servait à assurer une ambiance acoustique sans plus ; alors que l’information était acquise à travers les réseaux sociaux. Une information brute et en temps réel ou une interprétation des faits présentée comme l’avis d’un éminent expert … A lui de faire son idée à travers sa grille de lecture telle qu’elle s’est constituée dans une société qui souffre de l’inégalité. Cette idée, il la gardera pour lui-même dans cette période du confinement pendant laquelle il n’a personne avec qui partager.
Madame la mère essayera d’attirer l’intérêt de son époux sur les difficultés qu’elle rencontre avec sa nouvelle responsabilité intéressant « la continuité pédagogique ». Monsieur le père lui répondra par des grognements entre lesquels Madame la mère crut comprendre ce que son époux voulait dire. « Si j’étais aussi fort en mathématiques, sciences de la vie et de la terre, physique, chimie…je n’aurai pas eu l’honneur de partager ma vie avec toi. » Aimable remontrance conjugale qui, de temps en temps, ressort pour vider le caractère acariâtre de Monsieur le misogyne de père. Madame rongea son frein et s’adressa alors à ses quatre enfants « Vivement, le jour où la situation reviendrait à la normale … ». Il reste seulement à définir cette normalité

-Autrement dit (Albayane du jeudi 16 04 2020)

 

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Mohamed LOKHNATI

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