
El Jadida: Entre la Pologne et le Maroc, Barbara Piekarska Abou-Hilal peint ce que les mots taisent….Entretien
Psychologue de formation, artiste par essence, elle explore depuis huit ans les pulsations invisibles d’El Jadida. Dans ses toiles, les ruines murmurent, les palmiers s’élancent, les chemins hésitent — et la mémoire devient couleur. Rencontre avec une peintre de l’intime, qui transforme le silence en lumière et l’exil en langage plastique. Entretien
L’Echo : Barbara, vous êtes psychologue de formation, peintre par vocation, et vous avez exposé dans plusieurs pays. Comment votre parcours personnel influence-t-il votre approche artistique ?
Barbara Piekarska : Mon cheminement est fait de croisements. La psychologie m’a appris à écouter les silences, à lire les gestes, à percevoir ce qui ne se dit pas. La peinture, elle, me permet de traduire ces murmures en formes et en couleurs. Je ne peins pas pour illustrer, mais pour révéler. Chaque toile est une tentative de dialogue entre l’humain et l’invisible, entre la mémoire et le présent.
L’Echo : Vous vivez à El Jadida depuis huit ans. Que représente cette ville dans votre œuvre ?
Barbara Piekarska : El Jadida est devenue une matrice. C’est ici que j’ai appris à voir autrement. Les ruelles, les visages, les palmiers qui s’élancent vers le ciel… tout m’inspire. J’ai longtemps habité rue Mozart, et cette rue est devenue pour moi une partition plastique. Mes tableaux sont traversés par les paysages de la région, les chemins vers Sidi Bennour, les ruines du Mellah, les balcons oubliés. C’est une peinture de l’intime, mais aussi du collectif.
L’Echo : Vous parlez souvent de “peindre l’invisible”. Que signifie cette expression pour vous ?
Barbara Piekarska : L’invisible, c’est ce qui nous relie sans se montrer. C’est la mémoire des lieux, les émotions enfouies, les histoires que les murs murmurent. Peindre l’invisible, c’est tenter de capter l’âme d’un espace, d’un regard, d’un instant suspendu. C’est aussi une manière de résister à l’oubli, de rendre hommage à ce qui ne crie pas mais qui existe profondément.
L’Echo : Votre travail est salué par des poètes comme Fettah Makoudi, qui voit en vous une “nageuse à contre-courant”. Vous reconnaissez-vous dans cette image ?
Barbara Piekarska : Oui, je crois que je peins à contre-courant des modes et des facilités. Je cherche la sincérité, la trace, le tremblement. Fettah a cette sensibilité rare, cette capacité à lire au-delà des apparences. Son regard sur mon travail m’émeut, car il comprend que l’art n’est pas un ornement, mais une traversée. Peindre, c’est aussi interroger le monde, ses blessures, ses beautés cachées.
L’Echo : Vous êtes membre de l’association Bohema-Bialystok, qui mêle art et thérapie. Quelle place accordez-vous à cette dimension dans votre pratique ?
Barbara Piekarska : L’art est thérapeutique par essence. Il permet de dire ce qui ne peut être dit autrement. Dans mes ateliers, je vois des personnes se reconnecter à elles-mêmes, retrouver une voix, une forme, une couleur. C’est un espace de liberté, de reconstruction. L’art ne guérit pas tout, mais il ouvre des chemins.
L’Echo: Un dernier mot pour conclure ?Barbara Piekarska : Merci à El Jadida, aux organisateurs dont je cite l’Associatuon des Doukkala, mais aussi au Centre Culturel Abdelhak El Kadiri, à ses habitants, et à tous ceux qui m’ont accueillie et inspirée. Merci à ceux qui regardent mes toiles avec le cœur. Et merci à ceux qui, comme Fettah, savent que l’art est une manière d’aimer le monde — même dans ses silences.
Propos recueillis par: Mohamed LOKHNATI